“Parler pointu” de Benjamin Tholozan : interview

La saison 2024 du Théâtre du Fort Antoine s’est terminée mardi soir. Malgré la canicule, les spectateurs étaient venus nombreux pour assister à la représentation de “Parler pointu” de Benjamin Tholozan : un spectacle drôle, touchant, intelligent où l’intime – l’autofiction – côtoie l’Histoire. Les gens du Sud connaissent très bien l’expression “parler pointu” : elle désigne l’accent de tous ceux qui vivent au-dessus de Valence, dépourvu d’intonations. Benjamin Tholozan a grandi dans le Sud, et, comme plein d’autres comédiennes et comédiens, il est “monté” à Paris où il a appris à gommer son accent méridional. Le point de départ de son spectacle, mis en scène par Hélène François, est précisément cet accent qui marque immédiatement la différence entre les gens du Sud et les autres, entre ceux qu’on ne prend pas vraiment au sérieux et dont on se moque, et les “Parisiens”. Le comédien fait alors parler les membres de sa famille et fait surtout revivre son grand-père pour l’enterrement duquel il avait prononcé un discours que personne n’avait compris ! Mais le spectacle va bien au-delà de l’autofiction. Benjamin Tholozan, accompagné de Brice Ormain à la guitare, se met également dans la peau de personnages historiques pour nous donner un cours savoureux sur l’histoire de la construction la langue française au détriment des langues régionales, des patois, comme on dirait dans le Sud.

Avant de monter sur scène, Benjamin Tholozan nous a accordé une interview et nous a parlé de la genèse de son spectacle.

Benjamin Tholozan Brice Ormain “parler pointu”

France Net Infos : “Parler pointu” est un titre que les gens du Sud comprennent…

Benjamin Tholozan : Dans le Sud, les gens connaissent le sens de cette expression mais pas forcément ailleurs. On a joué le spectacle à Paris et en Normandie et je me suis rendu compte que les gens ne savaient pas ce que ça voulait dire. J’avais envie de mettre ce titre parce que c’est une sorte de renversement de la situation, c’est dire aux gens qui ont l’accent “parisien” que c’est justement eux qui ont un accent. Ca retourne un peu cette norme linguistique ! Je trouvais ce titre intéressant. Il me permettait aussi des jeux de mots sur l’élitisme culturel, sur le théâtre pointu, sur ce qu’on considère comme la culture régionale folklorique. Ce titre recoupait beaucoup de sens pour moi.

France Net Infos : Comment vous est né ce projet théâtral ?

Benjamin Tholozan : L’idée était de partir de moi, de mon expérience et de l’élargir au maximum. Je voulais évoquer la question des langues régionales et de leur répression. Au-delà de cette histoire d’accent, très vite la question de la construction de la langue française est venue.

France Net Infos : Vous mêlez donc l’autofiction à l’Histoire collective…

Benjamin Tholozan : Oui, mon spectacle est un aller-retour entre des scènes d’autofiction qui concernent mon expérience en tant que comédien ou ma famille et des scènes historiques. On démarre au XIe siècle avec l’annexion de la Provence et d’autres territoires à la fin de la Croisade des Albigeois. On a choisi des périodes qui nous semblaient importantes dans l’histoire de la langue française. Je reviens notamment sur le fait qu’on ait pris le Tourangeau pour en faire le Français de référence. J’insiste aussi sur la Révolution quand les députés jacobins ont parachevé l’interdiction et l’éradication des langues régionales et des patois, avec les meilleures intentions du monde, c’est-à-dire pour créer une nation et donner les mêmes chances à chacun de s’émanciper.

France Net Infos : Vous parlez de votre expérience en tant que comédien qui a été obligé de gommer son accent en arrivant à Paris. Ce genre d’injonctions peut traduire un certain mépris. On a un peu l’impression que les gens du Sud ne sont pas pris au sérieux au point de devoir dissimuler l’accent qui les trahissent….

Benjamin Tholozan : Je pense que pas mal de gens souffrent de cette question-là. A la fin des représentations, ça arrive que des spectateurs viennent me voir. Des professeurs agrégés, des avocats ou des journalistes m’ont dit qu’on s’était moqué d’eux lorsqu’ils avaient soutenu leurs thèses en public. Le plus grave, c’est qu’on avait insinué que ce qu’ils racontaient n’avait aucune importance et était ridicule. En fait, on s’attachait plus à leur façon de parler qu’à leurs propos. C’est à la fois violent et absurde ! On s’arrange tous comme on peut avec cette question d’accent. Pour moi, ça n’a pas été un effort particulier de perdre mon accent. C’est plus tard, après des années, que je me suis dit que ce n’était pas si anodin de changer sa façon de parler pour exercer son métier. Sur les scènes de théâtre, on entend très peu d’accents régionaux. Quand ça arrive, c’est toujours grotesque avec des personnages un peu triviaux. L’idée qu’il y a des sous-langues et des sous-cultures est ancré dans l’inconscient collectif. Les blagues qu’on fait sur les accents régionaux viennent de très loin. Parfois, il n’y rien de méchant et on peut en rire mais souvent c’est assez profond et ça concerne vraiment la façon dont l’identité de la France s’est construite.

France Net Infos : Après “Parler pointu”, quels sont vos projets ?

Benjamin Tholozan : Ce soir, c’est la dernière de la saison mais l’année prochaine on va jouer la pièce à Villers-Cotterêts, à la Cité de la langue française. J’ai hâte de voir comment elle va être reçue ! On va aussi aller à Bayonne, en Bretagne, en Guyane. Sinon, en ce moment, j’ai deux spectacles avec la metteuse en scène Lorraine de Sagazan : “Un sacre” et “Monte di Pietà” qu’elle a créé à la Villa Médicis à Rome.

 

A propos Laurence

A lire aussi

Cinq nouvelles collaborations dans la collection de produits Côte d’Azur France

Lancée au Printemps 2018 par Côte d’Azur France Tourisme, la marque Côte d’Azur France a …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

WP Twitter Auto Publish Powered By : XYZScripts.com