Nicolas Maury est Oenone dans “Phèdre” mis en scène par Muriel Mayette-Holtz à Nice : interview

Jusqu’au 5 juillet, se tient à Nice la première édition du Festival de Tragédies dans le magnifique cadre des Arènes de Cimiez. Pour ouvrir le festival, Muriel Mayette-Holtz, directrice du Théâtre National, propose une superbe mise en scène de Phèdre de Racine. Mardi, le soir de la première, la pluie s’est invitée mais elle n’a pas réussi à faire fuir les spectateurs, transportés par la beauté de la pièce. Parfois, le bruit des motos et des voitures ou même des mouettes ont pu empêcher d’entendre distinctement certains alexandrins. Mais qu’importe ! Après tout, dans l’Antiquité, les tragédies n’étaient-elles pas jouées en plein air ?

La pièce que nous avons vu aux Arènes de Cimiez dure 1h30. La passion, celle qui fait souffrir, (patior en latin signifie souffrir), est au coeur de la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz. Phèdre (excellente Eve Péreur, comédienne de la troupe du TNN), devenue l’ épouse de Thésée, à la place de sa soeur Ariane qu’il a abandonnée, brûle de désir pour son beau-fils Hyppolite. Thésée est parti en voyage et tout le monde le croit mort.  Sa nourrice Oenone, qui a tout quitté pour Phèdre, lui conseille alors d’avouer son amour à son beau-fils. Quand Thésée, finalement vivant, rentre, elle lui conseillera, pour la préserver, d’accuser Hippolye de l’avoir violentée.

C’est l’acteur Nicolas Maury qui interprète Oenone, la nourrice dévouée, “la grande victime de la pièce”, “la plus grande amoureuse tragique du répertoire”, comme la qualifie Muriel Mayette-Holtz. Coiffé d’une perruque et vêtu d’une longue robe noire imaginée par Rudy Sabounghi, il déclame les vers de Racine avec élégance et fait d’Oenone un personnage complexe, inquiétant parfois mais surtout très émouvant. Quand il déclame “J’ai tout quitté pour Phèdre”, il nous touche en plein coeur. Quelques heures avant de monter sur scène, Nicolas Maury a eu la gentillesse de nous accorder une interview. Il nous a parlé d’Oenone et de son immense amour pour le théâtre.

France Net Infos : Vous avez dû être surpris que Muriel Mayette-Holtz vous propose d’interpréter Oenone….

Nicolas Maury : J’ai été surtout ému. Muriel était ma professeure au Conservatoire National à Paris, il y a vingt-deux ans. Elle faisait partie de ces professeurs dont nous étions tous amoureux ! Quelques années après, elle m’avait proposé d’entrer à la Comédie-Française. J’avais dit non car j’avais besoin de ma liberté d’acteur et puis c’était une autre époque. Elle est revenue vers moi et m’a proposé ce rôle en me disant qu’elle avait pensé à moi parce que je suis la plus grande amoureuse qu’elle connaisse ! J’ai trouvé cela très beau parce qu’on ne s’était pas revus depuis longtemps. J’aime les propositions audacieuses et j’y réponds souvent par l’affirmative.

France Net Infos : Il s’agit là d’une proposition vraiment audacieuse. Oenone est une femme. Comment vous êtes-vous préparé pour l’interpréter ?

Nicolas Maury : La question de jouer une femme ne s’est pas vraiment posée dans le travail. Je ne voulais pas que ce soit une performance. Je ne voulais pas que ce soit encombrant et faire croire que je suis vraiment une femme. Dans les premières tragédies, c’était des hommes qui interprétaient des rôles féminins ! On n’a pas fait quelque chose de très punk ! Avec Muriel, on va peut-être initier une forme de nouveau chemin avec de grandes héroïnes ! Artistiquement, j’ai toujours senti une plus grande proximité avec les héroïnes de roman, de théâtre et de cinéma. J’ai aussi un très grand amour pour les actrices et les cantatrices. Muriel me parlait beaucoup de Maria Casarès et me disait qu’elle avait l’impression de l’avoir devant elle !  Cela m’a ému parce que j’aime beaucoup Maria Casarès, notamment dans son parcours amoureux avec Camus. En tant qu’artiste, elle avait une audace !  Oenone est peut-être la seule vraie amoureuse de la pièce. Elle éprouve un amour inconditionnel pour Phèdre. Quand elle dit “J’ai tout quitté”, ça n’est pas rien. C’est très fort ! Je m’accrochais à cette phrase pour jouer. Je me suis demandé si je pourrais dire un jour cela à quelqu’un.

France Net Infos : C’est la première édition du Festival de Tragédies. C’est un succès. Avant la représentation, Muriel Mayette-Holtz a pris la parole et s’est réjouie de voir autant de jeunes parmi le public…

Nicolas Maury : Je suis très heureux que ce festival existe. C’est beau de porter cette parole verticale dans ces temps si sombres, où la formulation du monde est difficile. Racine mais aussi les tous les auteurs tragiques, les poètes nous disent en quelque sorte “attention” dans les deux sens du terme : se méfier et prendre soin des choses. C’est bien que des jeunes soient venus et aient pu entendre ces alexandrins et cette proposition. Muriel a réussi son pari ! Je dois dire que je suis heureux de jouer cette pièce mais un peu triste aussi car c’est bientôt terminé ! Mais on va la reprendre à Nice la saison suivante et en tournée, dans une version intérieure. On ne tutoiera pas le ciel comme dans les Arènes de Cimiez.

France Net Infos : Le fait de jouer en extérieur peut être parfois difficile pour des comédiens. Etes-vous gênés par les bruits ?

Nicolas Maury : Je suis assez solide comme interprète mais j’avoue que lors de la représentation d’hier soir, au moment de déclamer un alexandrin, une moto est passée en faisant beaucoup de bruit et j’ai été gêné. La langue de Racine est musicale. Ca demande beaucoup de concentration. C’est difficile mais c’est très intéressant. Chaque représentation est différente. J’adore ça ! Le théâtre, c’est ma maison. A chaque fois, c’est comme un rendez-vous avec plus grand que soi. Comme le disait Marguerite Duras, “pour être un acteur, il faut se dépeupler”. Moi, j’appelle mon métier “être une maison vacante”. Aujourd’hui où tout le monde est surchargé de soi-même, c’est magnifique. Le théâtre demande cette rigueur humaine et personnelle de se dépeupler et de faire rentrer autre chose et si possible la poésie.

France Net Infos : Vous avez commencé au cinéma avec Patrice Chéreau dans Ceux qui m’aiment prendront le train. Aviez-vous sa mise en scène de Phèdre ?

Nicolas Maury : Je l’ai vue quand j’étais au Conservatoire, en première année. J’avais trouvé qu’il y avait une certaine incohérence sur Phèdre. C’est une très jeune femme. Elle a 18 ans, comme Hyppolite. Ce sont deux adolescents qui s’ennuient. Thésée s’offusque que sa femme l’ait trompée alors que c’est le play-boy du Péloponnèse ! On a incriminé Phèdre mais ce n’est pas vraiment ça.. Dans la mise en scène de Chéreau, j’avais adoré Marina Hands qui interprétait Aricie. Muriel, elle, a décidé de ne pas montrer ce personnage. Il a fallu faire des choix. Elle ne voulait pas que la représentation dure trop longtemps.

France Net Infos : Après Phèdre, quels sont vos projets au cinéma, à la télévision, et même dans la chanson ? Votre premier album était très beau…

Nicolas Maury : Je vais réaliser ma première série que j’ai écrite pour Arte, de quatre fois cinquante-deux minutes. Ca s’appelle “Les saisons”. Je vais la tourner sur la Côte d’Azur à partir de la fin du mois de septembre. J’ai joué dans “Ca, c’est Paris” avec Monica Bellucci et Alex Lutz, une série faite par les producteurs et réalisateurs de “Dix pour Cent”. On la verra sur France 2 à la rentrée prochaine. Et puis, je suis en préparation d’un deuxième album.

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